
« On ne naît pas femme : on le
devient »
Simone de Beauvoir
Bonjour à tous et à toutes,
Aujourd’hui c’est la journée des femmes, c’est pour cela que je vous invite -si vous voulez, bien sûr, -à lire un article et à voir un entretien pour faire après un débat entre nous.
Voici les questions :
1. Que
représente pour vous la journée de la femme ?
2. Pour
quoi faire une journée des femmes ?
3. Selon
vous, cette journée, est-elle utile ?
Allez, débattez, sans tabou ni limites! Et gros bisous pour les
filles !! :-)
Lorena.
Les femmes sont devenues plus
visibles en dépit du retard des pratiques sociales
Avant de commencer cette analyse
du mouvement féministe algérien, je voudrais saluer la mémoire de Nabila et
Katia, assassinées il y a quinze ans. Katia Bengana, lycéenne de 17 ans,
assassinée le 28 octobre 1994 à Meftah, près d’Alger, pour avoir refusé de
porter le hidjab et Nabila, architecte de 29 ans, assassinée le 15 février 1995
à Tizi Ouzou, parce qu’elle était la présidente de l’association féminine
Tighri N’tmettouth, (le cri de la femme).
La présence des femmes dans
l’Armée de Libération nationale, si minoritaire fut-elle, n’en a pas moins
constitué une référence essentielle tout au long du combat des femmes
algériennes pour leur émancipation. Alors que toutes les composantes du
mouvement national exigeaient le respect du statut personnel traditionnel,
cette présence a valorisé une symbolique de l’égalité des sexes et fourni aux
mouvements des femmes depuis l’indépendance, un contingent de militantes aussi
prestigieuses qu’intraitables sur le droit des femmes. C’est parmi les
moudjahidate que naquit la revendication d’une organisation propre aux femmes
que le pouvoir a concédée, d’autant mieux qu’elle servait son image de pays
progressiste à l’extérieur du pays. L’UNFA est créée, mais elle sera rapidement
mise au pas. Elles ont été, malgré leurs limites, à l’origine d’un travail
d’alphabétisation, de sensibilisation sur la contraception... C’est autour de
quelques-unes d’entre elles que s’organisaient les premières batailles, comme
celle qui permit, en 1966, le rejet du premier projet de code de statut
personnel inspiré de la charîa traditionnelle.
Elles seront aussi partie
prenante de toutes les mobilisations, du printemps 1973 aux rassemblements de
1981, des coordinations de 90 aux actions les plus récentes.
La révolte des
femmes scolarisées
La scolarisation massive des
filles bouleverse la routine traditionnelle. Les familles traditionnelles
encouragent l’instruction des filles. Des centaines de milliers de lycéennes et
d’étudiantes circulent dans un espace public où leur présence contrevient aux
règles non écrites de la société patriarcale rigoriste. Elles se heurtent à
l’agressivité des passants, mais elles protestent contre le harcèlement sexuel
dans les transports, elles imposent leur présence dans certains cafés, elles
développent des solidarités autour de détresses personnelles. La mixité était
réelle dans la majorité des écoles, collèges, lycées et dans les universités.
Des enseignantes universitaires se révoltent contre leur exclusion des
attributions de logement de fonction et leur maintien dans des chambres
d’étudiantes.
Au printemps 1973, un collectif
étudiant rassemble une centaine de femmes à l’Université d’Alger contre un
projet de code de la famille. En janvier 1981, un rassemblement de 900 femmes
dans un amphithéâtre de l’Université d’Alger obtient le retrait de
l’autorisation de sortie du territoire, par un père ou un mari. D’autres
rassemblements et coordinations se succédèrent jusqu’en décembre de cette
année-là. Parmi les scolarisées, l’heure était à la révolte, au rejet de
l’enfermement, des traditions... Le même phénomène est observé dans
l’émigration, les jeunes femmes rejetant les mariages arrangés ou forcés et
craignant une codification juridique qui aurait consacré l’oppression
traditionnelle.
Des cercles aux
collectifs
Une dizaine de cercles
clandestins se constituent dans les principales villes en 1977, puis les
activistes investissent des cadres officiels pour pouvoir agir publiquement. Le
GTE (groupe de travail étudiant) de psychologie initie un ciné- club féminin à
Alger, la section syndicale de sciences politiques organise un séminaire sur
les droits des femmes, d’autres infiltrent une section de l’UNFA officielle...
Des collectifs unitaires se constituent dans l’effervescence démocratique de 80
puis ce sont les rassemblements devant l’Assemblée nationale à l’automne 81,
pour exiger le retrait du nouveau projet de code de la famille.
Les animatrices de ces
protestations appartiennent à l’organisation communiste tolérée, le PAGS (Parti
de l’avant-garde socialiste) et aux organisations clandestines de
l’extrême-gauche trotskyste, principalement le GCR (Groupe communiste
révolutionnaire) et l’OST (Organisation socialiste des travailleurs). Le
soutien continu et déterminé des moudjahidate (anciennes de la guerre de
libération), malgré leurs attaches politiques et parfois familiales avec les
dirigeants du pays, a offert au mouvement un surcroît de légitimité et une
protection précieuse.
Les divers noyaux constituaient
un tissu commun, malgré les divergences politiques. Les revendications
juridiques avancées par les moudjahidate (refus du tuteur, droit au travail,
droit au divorce, mariage sans dot...) faisaient consensus.
Les lignes de partage étaient
fluctuantes. Les trois tendances pouvaient s’opposer ou faire front selon : la
position par rapport au code de la famille, amendements pour la mouvance du
PAGS, abrogation pour la mouvance des trotskystes ; l’idée qu’au-delà des
droits juridiques, il faut œuvrer à transformer les pratiques sociales et les
mentalités, alors que l’OST se limitait à l’abrogation du code de la famille ;
(Ils mobilisaient dans la perspective de la constituante souveraine sous le
slogan : « le peuple doit décider ».) le type d’action, travail de
terrain, de proximité pour changer les pratiques sociales (mixité, pratique du
sport, représentations des femmes dans les manuels scolaires, inégalité des
salaires, discriminations professionnelles...) que partageaient les mouvances
du PAGS et du GCR.
Le reflux
Après 82, le champ politique se
ferme, c’est le reflux. Les collectifs féminins s’affaiblissent. Le code de la
famille est adopté, l’été 84 sans réaction notable. Les noyaux militants
survivent modestement. L’expérience du groupe Ahlam, qui organise des ciné-clubs
féminins massifs et maintient un fonctionnement régulier, servira de modèle
dans les années qui suivent. L’atelier ARFA, qui animera la revue Présence de
femmes, est installé la même année. Une année plus tard, l’Association pour
l’égalité devant la loi entre les femmes et les hommes est proclamée. Ces
différents noyaux maintiennent la célébration du 8 mars qui rassemble encore
des centaines de femmes. Dans cette phase de reflux, deux phénomènes vont
contribuer à former une nouvelle génération de militantes féministes : les
ciné-clubs féminins et le mouvement syndical étudiant autonome.
Contre la
montée intégriste
Au lendemain de la révolte
populaire du 5 octobre 1988, le mouvement féministe s’engouffre dans
l’ouverture politique. Les tentatives d’unifier les associations se heurtent à
la volonté d’indépendance des familles politiques. L’association pour l’égalité
devant la loi entre les hommes et les femmes, dite Egalité, l’association de
défense et promotion des droits des femmes, dite Promotion et l’association
pour l’émancipation de la femme dite Emancipation. Les associations se créent
plus massives qu’hier. L’association pour l’émancipation de la femme (AEF)
rassemble près de 7000 femmes lors de la marche du 8 mars 1989 et essaime à
travers une demi-douzaine de villes. Mais bientôt va se profiler une immense
vague rétrograde qui submerge les quartiers populaires. La campagne contre «
les femmes qui demandent quatre maris » et le discours misogyne sont
l’essentiel du message du FIS. Et le mouvement se divise encore dans l’approche
de cette adversité.
La floraison d’initiatives pour
le droit des femmes se transforme bientôt en cadre de résistance contre
l’intégrisme. En novembre 89, une rencontre nationale regroupe toutes les
associations et débouche sur la mise en place d’une coordination régulière. En
décembre un rassemblement de trois mille femmes provoque l’appel d’El Daâwa à
faire marcher les femmes. 25 000 personnes au centre d’Alger qui effraient la
capitale.
Les femmes ne baissent pas les
bras. Le 8 mars 90, 2500 femmes sortent en manifestation, de l’Afrique, pour
finir à 20 000 devant l’Assemblée nationale. L’AEF est au cœur d’un processus
d’alliances, le forum démocratique, qui tourne court.
Face à
l’hégémonie intégriste
Le raz-de-marée du FIS aux
élections locales du 12 juin 90 met fin à cette dynamique. Désormais
surmédiatisées, les associations féminines ne regroupent plus autant de monde.
L’arrêt des élections en janvier 92 divise les rangs entre celles qui
rejoignent le CNSA contre le danger intégriste et celles qui prônent
l’autonomie des partisans de la démocratie. A mesure que la décennie devient
sanglante, les féministes d’hier se divisent entre les éradicateurs et les
réconciliateurs. Il s’agit de s’opposer au diktat vestimentaire des
intégristes, de dénoncer les viols collectifs et la terreur misogyne.
Les réconciliatrices s’expriment
plutôt sur des thèmes démocratiques d’opposition, notamment à l’étranger.
L’opposition au code de la famille, demeurant le trait d’union de toutes. Les
ateliers sur le code de la famille, proposés par la ministre de la Solidarité
nationale et de la Famille, Mme Mechernène, impliquent la plupart des
associations présentes dans le pays et débouchent sur une démarche
d’amendements. L’hésitation du gouvernement à affronter le conservatisme
dominant, à la veille d’échéances électorales, conduit ces associations à mener
campagne de façon autonome pour 22 amendements. D’autres, comme l’AEF, ont
conservé la revendication d’abrogation sans se désintéresser des questions
soulevées par les amendements.
Il était difficile dans ce
contexte dramatique d’exprimer un discours féministe autonome. Ce fut
l’ambition du rassemblement « Agir ensemble » qui regroupa, vers la fin des
années 90, la plupart des associations présentes dans le pays dans leur
diversité. Mais cette réaffirmation identitaire des militantes féministes ne
constituait pas un cadre de rassemblement de masse. En 1999, l’examen du
rapport Algérie dans le cadre de la CEDA West a été l’occasion de faire un bilan
équilibré loin des schématismes.
La
problématique des travailleuses
La scolarisation massive des
filles, depuis l’indépendance, a produit l’entrée massive des femmes sur le
marché du travail. Une femme sur trente travaillait en 1966, souvent avant le
mariage ou après le divorce. Près d’une femme sur six travaille en 2009. Un
juge sur trois, la moitié des personnels de l’éducation et de la santé et 40%
de l’administration sont des femmes. Le code de la famille apparaît
terriblement anachronique, alors que la Constitution et le reste de la
législation proclament l’égalité. Cette irruption déstabilise la férule
patriarcale radicalisée par la vague intégriste.
La proportion importante de
femmes diplômées dans une société qui demeure patriarcale produit des effets
pervers qu’on désigne pudiquement par la surqualification des femmes au poste
occupé. La libéralisation de l’économie multiplie les contrats temporaires, et
le travail au noir devient majoritaire. La CNFT-UGTA, commission nationale des
femmes travailleuses de la centrale syndicale, multiplie les initiatives et les
campagnes autour des questions centrales que sont désormais le harcèlement
sexuel, le droit à la formation et à la promotion, la liberté d’accéder à la
responsabilité politique, syndicale ou administrative et obtient la
criminalisation du harcèlement sexuel par un amendement au code pénal.
En 2005, une série d’amendements
au code de la famille reconnaissent l’apport économique de la femme et
suppriment l’obéissance au mari. Mais son architecture demeure inégalitaire,
malgré les quelques petits progrès pratiques sur le plan du mariage de la
tutelle ou du divorce. Les femmes accèdent à de nouveaux métiers, à de
nouvelles responsabilités et, en novembre 2009, un amendement constitutionnel
impose une présence des femmes dans les institutions élues. Les femmes sont de
plus en plus visibles et mêmes incontournables, mais les pratiques sociales
sont encore très en retard.
Des études sur la réalité des
femmes, des campagnes contre la violence à l’égard des femmes sont menées par
des associations, des collectifs et des institutions. CNFT, Réseau Wassila,
FEC, SOS femmes en détresse, AEF, Ciddef, Crasc, Cread, Cneap ... Un
demi-siècle après l’indépendance, la légitimité du mouvement des femmes pour
leurs droits juridiques sociaux et politiques est immense. Mais le chemin qui
reste à parcourir est lui aussi immense.
Par SOUMIA SALHI, militante féministe et syndicaliste, présidente de la
commission des femmes travailleuses de l'UGTA (union
générale des travailleurs algériens)
Abréviations :
AEF :
Association pour l’émancipation de la femme
UNFA : Union
nationale des femmes algériennes
CIDDEF : Centre
de documentation et d’information sur les droits des enfants et des femmes
CRASC : Centre
de recherche en anthropologie sociale et culturelle
CREAD : Centre
de recherche en économie et développement
CNEAP : Centre
national d’études et d’analyses pour la planification
CNFT-UGTA :
Commission nationale des femmes travailleuses de l’Union générale des travailleurs
algériens
ARFA : Atelier
de recherche sur les femmes algériennes
CNSA : Comité
national de sauvegarde de l’Algérie
P AGS : Parti
de l’avant-garde socialiste
GCR : Groupe
communiste révolutionnaire
OST :
Organisation socialiste des travailleurs
FIS : Front
islamique du salut
SOURCE :
El Watan.com, posté par Nedjma, La voie lactée. Points de vue sur les femmes, la vie, les étoiles, http://nedjma.canalblog.com/archives/journee_internationale_de_la_femme__8_mars/index.htm
![]() |
Lynsey Addario. (www.congowomen.org) |
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